24 avril 2019

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©(Photo L'Action - Steven Lafortune)

Sunny, Youppi, Annie Tremblay et Julie forment une équipe tissée serrée à la Friperie d’Karo et les Ateliers d’Ani.

Habituellement, vous la retrouverez dans sa boutique de la rue Notre-Dame à Joliette. Située précisément au 369, la Friperie d’Karo et les Ateliers d’Ani est, pour plusieurs, beaucoup plus qu’un endroit où dénicher des vêtements à bas prix. 

Le nom du magasin provient de sa fille Caroline, atteinte d’une déficience intellectuelle. Âgée de 32 ans, elle ne peut s’occuper d’elle-même, n’étant pas autonome. À 21 ans, lorsque sa fille a terminé son parcours scolaire, la demande dépassait l’offre en termes d’activité. Elle se retrouvait donc souvent sur des listes d’attente. 

En 2012, Mme Tremblay décide de prodiguer des ateliers de bricolage à des personnes aux prises avec une déficience intellectuelle dans le sous-sol de l’église Christ-Roi. « J’ai toujours été débrouillarde dans la vie; ce qu’on ne peut avoir, on le fabrique! », ricane celle qui détient un diplôme d’études professionnelles en soudage-montage. 

Cependant, son local était devenu trop petit. Désireuse de reprendre ses activités après un léger hiatus, elle cherchait un complément. L’idée de la friperie lui vient à l’esprit, mais elle s’est vite rendu compte des dépenses qu’encourt la location d’un espace commercial. 

« Je ne pouvais pas toujours payer le loyer de mes poches. Après discussions avec mon conjoint, il m’a dit de laisser tomber ma part de la maison. Les Frères de la Charité à Saint-Sulpice, où je suis préposée aux bénéficiaires de nuit, m’ont recommandé aux Grands Frères et Grandes Sœurs de Montréal. Depuis ce temps, ils m’aident grandement avec le loyer », a-t-elle raconté. 

Des ateliers 100% écoresponsable 

Locataire depuis février 2016, ce n’est que quatre mois plus tard, en juin, que la Friperie d’Karo et les Ateliers d’Ani voit le jour. Au fil des saisons, elle accueille des personnes ayant un handicap intellectuel, qui l’aident à certaines tâches par l’entremise de plateaux de travail ou viennent s’amuser dans ses ateliers de bricolage. 

D’ailleurs, en se promenant entre les nombreuses allées, plusieurs réalisations de ces participants ornent les murs du magasin. Tout le matériel a été récupéré et transformé en œuvre d’art, des bustes de mannequin aux pinceaux  

« Pour Pâques, nous avons confectionné des paniers et décoré des œufs. Ils étaient très fiers de leur travail et heureux de repartir avec leurs créations », a-t-elle laissé entendre. 

Les lundis et mercredi après-midi, entre 13 h et 17 h, s’alterne une dizaine d’adultes atteints d’une déficience intellectuelle, accompagnés de leur éducatrice, prêtant assistance à Annie Tremblay dans la conception de guenilles recyclées à partir de chandails n’ayant pas trouvé preneur depuis un certain temps à la friperie. Le jus ainsi que la collation et tous les équipements nécessaires sont fournis. 

« Certains sont capables de manier des ciseaux, alors ils coupent les boutons et les fermetures éclair. De notre côté, nous nous occupons de tailler le chandail », a-t-elle renchéri. 

Le cœur sur la main 

Également, avec des sacs transparents, elle tresse avec ses apprentis des matelas de six pieds, qu’elle donne à des gens sans domicile fixe (SDF). Sinon, il en coûte 15 $ pour s’en procurer un exemplaire. « Lorsqu’ils apprennent que le matelas a été donné ou vendu, ils sont très contents! », s’est-elle exclamée. 

Annie Tremblay ne s’est pas arrêtée là, bien au contraire. Pour 8 $, des clients pouvaient acheter des cartes-cadeaux nommées « Passez l’hiver au chaud ». Ces dernières donnaient la possibilité à des parents, des enfants ou des SDF de s’habiller de la tête au pied, de la tuque jusqu’aux bottes, en passant par le manteau, les pantalons et le foulard. 

Ces attentions ne sont qu’une infime partie de ce qu’elle fait pour les personnes à faible revenu. Elle raconte que dernièrement, une jeune femme enceinte, laissée par son conjoint, s’est présentée à la friperie avec très peu de moyens. Après avoir demandé à maintes reprises le coût de chaque article, elle lui a laissé prendre le nécessaire à un prix d’ami. 

« En travaillant avec les personnes ayant un handicap, je me suis rendu compte qu’il y avait du monde qui œuvre plus dans la misère que d’autres », a-t-elle simplement lancé. 

Une équipe hors du commun 

Lorsque vous ouvrirez la porte d’entrée et descendrez l’escalier, vous serez accueilli par Youppi, un magnifique berger australien faisant office de gardien et de mascotte. En plus de la propriétaire, deux équipières vous salueront à votre arrivée. 

Ses deux bras droits, comme elle le rapporte, ont des histoires semblables, mais aussi totalement à l’opposé. Elle laisse sa place à Julie, la première à s’exprimer et résumer le récit de son parcours.  

Schizophrène, elle est la couturière attitrée de la friperie. « C’est difficile pour moi de travailler, et ce, même si je suis médicamentée, mais je désirais me rendre utile, faire quelque chose de concret de ma vie. Mon temps à la friperie me permet de rester occupée et d’avoir une vie normale », a-t-elle indiqué. 

Quant à Sunny, adoptée et victime de violence dans son enfance, elle s’est promenée de ville en ville, avant d’atterrir à Joliette. « Depuis deux mois, je n’avais pas ce sourire accroché à mon visage. De voir Caroline rire me met de bonne humeur! C’est ma paie de venir ici; je ne suis pas en train de me morfondre chez nous », a laissé entendre celle qui s’occupe bénévolement de la section enfant, tout comme Julie. 

Flattée, mais aussi gênée par ces commentaires, Annie Tremblay adore dire qu’elle a autour d’elle une « belle gang de rescapées », sans compter les France, Louise et Isabelle qui gravitent à proximité. « Je me sens mal parfois de ne pas être en mesure de les payer. Toutefois, si elles dénichent un morceau qu’elles aiment, elles peuvent le prendre. On s’entraide énormément. » 

De nombreux projets 

Après trois ans d’existence, la friperie commence à se bâtir une clientèle. Incapable de tenir en place, Mme Tremblay a plusieurs projets en branle, dont certains se concrétiseront à l’automne.  

L’un d’entre eux est le retour d’ateliers avec des élèves de l’école Espace Jeunesse de Joliette. « Le second est avec la prison des femmes. J’ai passé tous les tests demandés et j’attends l’approbation de l’établissement », a-t-elle mentionné, excitée. 

Des détenues viendront l’épauler sur le plancher l’après-midi, tandis que le matin, elles s’occuperont de couper des chandails pour les transformer en guenilles. 

Entre son temps à la friperie, son travail auprès des Frères de la Charité la nuit et les besoins de sa fille Caroline, Annie Tremblay a un train de vie haletant. « C’est complètement fou, mais j’adore ça! », s’exclame-t-elle d’emblée. 

Et à voir tout le bonheur contagieux qu’elle transmet à son équipe ainsi qu’à d’autres vivant des moments difficiles, ce n’est pas près de changer. 

©(Photo L'Action - Steven Lafortune)

Parmi les plateaux de travail organisés par Mme Tremblay pour les personnes atteintes d’une déficience intellectuelle, il y a le tressage de matelas en plastique pour les gens sans domicile fixe

©(Photo L'Action - Steven Lafortune)

La Friperie d’Karo et les Ateliers d’Ani est située au 369, rue Notre-Dame, dans le centre-ville de Joliette.