Trois élues de régions différentes, soit Valérie Léveillé de Chertsey, accompagnée de Jasmine Sharma de Vaudreuil-Dorion et de Darling Tremblay de La Minerve, se sont confiées à L’Action au sujet des situations difficiles d’intimidation et de discrimination qu’elles vivent en politique municipale. Ces dernières se sont impliquées afin de représenter les citoyens de leur communauté et elles ne peuvent se résigner à baisser les bras, malgré la détresse.
Lors de leur passage dans les bureaux de Joliette, les trois femmes, bien qu’elles étaient en lien virtuellement depuis un certain temps, se rencontraient pour la toute première fois. Jasmine Sharma et Darling Tremblay ont tenu à faire la route afin d’accompagner et surtout d’appuyer Valérie Léveillé dans son témoignage. Les élues font partie d’une coalition qui est en train de voir le jour et qui réunit des conseillères, des conseillers, des maires et des mairesses qui en ont assez du climat actuel et qui revendiquent la mise en place d’outils et de mesures de contrôle.
La récente démission de la mairesse de Gatineau, France Bélisle, a été un déclencheur. « Si elle est capable de parler, pourquoi pas moi? », commente Valérie Léveillé.
En entrevue, celle qui est conseillère à Chertsey explique qu’alors qu’elle subissait de l’intimidation et de la violence, elle s’est demandé « si elle était folle ». Elle s’est donc mise à écouter et à assister à des conseils municipaux d’un peu partout dans le but de comprendre et de voir comment cela se passait ailleurs. « Je me suis autoéduquée. Et je me suis rendu compte que je n’étais pas la seule. »
En se rencontrant, les élues ont beaucoup appris. « J’ai su qu’on pouvait parler et qu’on a des droits. Il y a beaucoup de normalisation de l’intimidation, c’est un gros problème », mentionne Darling Tremblay.
Par le biais de Jasmine Sharma, Valérie a découvert Le manuel de l’élu(e) municipal(e), qui est devenu une bible pour elle. « Je le traîne partout, j’ai tellement appris. »
Mises de côté parce qu’elles sont des femmes, pour leur âge ou pour leur position au sein du conseil, les réalités sont à géométrie variable. « Parfois, ce n’est pas de la mauvaise foi, mais ce sont des biais inconscients. Ça ne vient pas juste des hommes et ce n’est pas seulement envers les femmes non plus », remarque Jasmine.
Exclusion de comités, insultes, remarques désobligeantes ou sexistes, coups de poing sur une table, ricanements ou collègues qui quittent la table lorsque les conseillères prennent la parole, omission de leur acheminer des documents préparatoires et de les convoquer à des réunions, ingérence, les exemples d’intimidation sont multiples et similaires.
Les trois conseillères remarquent que siéger à titre d’indépendant est souvent mal compris par les partis en place. « Ça ne veut pas dire qu’on s’oppose à eux. On veut pouvoir collaborer, mais nous avons différentes expériences et nous sommes aussi le reflet de la diversité de la population. »
Valérie Léveillé précise qu’être évincée des comités est une forme d’intimidation puisqu’il s’agit d’une façon d’isoler certaines personnes. « Si je n’ai pas accès aux comptes-rendus des réunions, je ne peux pas non plus prendre de décision éclairée avec les fonds des contribuables. Je ne peux pas travailler. »
Darling mentionne que l’intimidation débute toujours subtilement. « On commence à se sentir mal et coupable, on sent qu’on dérange, on nous fait croire qu’on n’est pas à notre place, que ce n’est pas notre rôle de poser des questions… »
Valérie Léveillé avoue qu’elle a songé à démissionner de son poste à trois reprises, mais chaque fois, elle en a été dissuadée. Les trois femmes avouent aussi qu’elles « ont toutes rêvé » à une mise en tutelle de leur municipalité puisque cela aurait signifié que les choses bougeaient. Elles dénoncent le fait que les interventions du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation se fassent sous forme de volontariat. « Pour aller en médiation de conseil, ça prend une résolution! Les outils sont là, mais il y a des barrières pour y accéder. On est dans le néant. Quand on assiste à une situation, on fait quoi à part se lever et demander le respect », s’interroge la conseillère à La Minerve. Les élues soulignent également que des formations existent pour les conseillers, mais que pour y accéder, cela prend l’aval du maire ou de la direction générale, ce qui est une embûche lors d’un contexte malsain.
« On n’a pas de recours. Il faudrait qu’il y ait un code de conduite à la Commission municipale du Québec avec des moyens d’agir comme pour le code d’éthique et de déontologie. Il n’y a pas de mécanisme de gestion de conflits ou de gradation des sanctions. L’inclusion et l’écoute active, ça s’apprend. Les formations sont nécessaires », remarque Jasmine.
Les conseillères sont catégoriques, les comportements dont elles sont témoins ne seraient jamais tolérés dans un emploi dit régulier. « Je veux juste que ça cesse, les employés chez McDo sont mieux protégés que nous », décrie Valérie Léveillé.
« Toutes les plaintes mises en commun font qu’on assiste à un problème de société. On parle beaucoup des citoyens qui manquent de respect envers les élus. Moi, les citoyens ne me manquent pas de respect, mais les membres de mon conseil, oui », affirme Darling. Cette dernière souligne que les impacts sont grands, entre autres pour les proches et la vie de famille. « Nous sommes des citoyens qui représentons d’autres citoyens au meilleur de notre connaissance. On ne mérite pas de se faire détruire physiquement et psychologiquement. » Alors que la conseillère de La Minerve songe à faire appel à l’accès à l’information afin d’obtenir certains documents, Valérie Léveillé avoue y avoir déjà eu recours. « Ce n’est pas normal en démocratie et c’est insécurisant pour les citoyens. Je pense que j’aurais plus de pouvoir si je venais au micro en tant que citoyenne. »
Le groupe d’élus ne comptait au départ que Valérie Léveillé et Jasmine Sharma. Puis, il a tranquillement pris de l’ampleur. « Heureusement, mais malheureusement, on vit toutes les mêmes choses, alors on se comprend. Nous sommes des élus, hommes et femmes, qui vivons tous des situations similaires qui cherchons de l’aide. Nous avons trouvé un espace pour nous exprimer et être compris », mentionne Darling Tremblay.
La coalition dénonce les enjeux de gouvernance et l’ancienne mentalité. « Les jeunes d’aujourd’hui ont été éduqués avec les notions de respect et de bienveillance. Il y a des mots et des attitudes qui ne passeront plus », affirment les trois conseillères.
L’Action les a interrogées au sujet de ce qui les garde mobilisées à continuer malgré le contexte difficile. « Je crois qu’on peut réussir à faire de la belle politique et à changer les choses, il faut simplement que des outils pour assurer le respect soient mis en place », témoigne Darling. De son côté, Jasmine, dont le père est d’origine indienne, souhaite que les conseils municipaux soient le reflet de la société et changent leurs façons de faire pour qu’ils soient justement en mesure d’accueillir la diversité. Valérie a décidé de dénoncer dans l’espoir qu’enfin, les comportements d’intimidation cessent et ce, partout au Québec. Elle espère, plus que tout, une prise de conscience générale.
Crédit : Photo Élise Brouillette Les élues Darling Tremblay, Valérie Léveillé et Jasmine Sharma ont accepté de se confier à L’Action.