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22 mai 2025

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Le français est en déroute et ce n'est pas une métaphore sportive

Lettre ouverte

Crayon et inspiration

©archives

Un texte d'Alexis Nantel, papa de trois sportives et chroniqueur plein air.

Au Québec, on aime dire qu’on est un peuple fier. Fier de ses racines, de sa langue, de ses traditions. Fier de tenir tête à l’Amérique anglaise qui nous entoure comme un colosse prêt à avaler notre spécificité culturelle à coups de séries Netflix et de slogans publicitaires entraînant. Mais parfois, force est de constater qu’on baisse les bras avant même le début de la partie.

Je vous parle aujourd’hui d’un terrain trop souvent négligé dans nos débats sur la langue : celui du sport amateur. Ce terrain où nos jeunes apprennent la discipline, l’effort, l’esprit d’équipe… et où ils apprennent aussi, malheureusement, à croire que parler français, c’n’est pas cool.

Je n’exagère pas. J’étais récemment à un match de flag-football (appelons-le football sans contact, si on veut faire l’effort de traduire), où j’ai vécu une scène qui, franchement, m’a donné un choc. L’équipe de Rawdon, une ville où la moitié des habitants parlent l’anglais couramment, scandait fièrement son cri de ralliement… en français! Pendant ce temps, Joliette, notre ville à très grande majorité francophone, poussait ses encouragements… en anglais. "Let’s go! Defense! Onetwo-three-team!" J’en aurais échappé mon café. Quelle surprise!

Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Mes deux autres filles jouant au basketball à des niveaux compétitifs vivent la même chose avec leur équipe respective. Des directives des entraineurs noyées de mots anglophones et des cris dans la langue de Shakespeare. J’ai souvent poussé mes filles à prendre les devants pour convertir leurs collègues de terrain mais sans succès. La peur d’être jugées de leurs pairs sans aucun doute. Mais est-ce que la responsabilité revient aux jeunes?

Dans les gyms, sur les terrains de soccer, sur les patinoires, les entraîneurs parlent trop souvent en utilisant des mots anglais, les termes techniques sont balancés comme s’il était illégal de dire "passe", "défense" ou "patine" en français. Et les jeunes suivent. Non pas par conviction, mais par imitation, par pression, par désir d’être dans la "game".

Le pire, c’est quand cette dérive atteint nos équipes élites, celles qui représentent le Québec à l’extérieur. Là, on ne parle plus de laisser-aller. On parle de trahison linguistique. L’équipe U15 de basketball du Québec, qui représentera la province aux Jeux du Canada en août prochain à Terre-Neuve, tient ses sélections et entraînements à 85 % en anglais. Ma fille l’a vécu. Cela l’a même intimidé voire empêché d’être à l’aise et de performer. Les directives? En anglais. Les critiques? En anglais. L’encadrement? En anglais parsemé trop rarement de quelques mots en français.

Attendez, on parle ici de jeunes ambassadeurs du Québec! Pas de Toronto, ni d’Ottawa. Du Québec. Une province dont la seule langue officielle est le français. Une nation qui se bat depuis des décennies pour que sa langue vive, rayonne, inspire.

Visiblement, dans beaucoup trop de gymnases, cette lutte ne fait pas partie du plan de match. Je sais, je sais. Certains diront : "Ben là, c’est normal, le sport, c’est en anglais. Tous les termes viennent de là". C’est vrai qu’on a grandi avec des "power play", des "timeouts", des "turnovers". Même notre plus vieux cri de guerre, "Go Habs Go!", est ancré dans notre ADN sportif. Mais entre un héritage linguistique passé et un glissement culturel généralisé, il y a une marge. Et aujourd’hui, cette marge est franchie. On ne parle plus de quelques expressions isolées. On parle d’un abandon systématique du français, même là où il devrait régner sans partage.

Car si nos entraîneurs – souvent des modèles pour nos jeunes – ne font même plus l’effort de parler français, comment voulez-vous que nos ados y voient une fierté? Comment voulez-vous qu’ils aient le réflexe de crier "Ensemble!" plutôt que "Let’s go!"? C’est une honte. Une honte collective. Et c’est là que je me fâche un brin…

La transmission vivante de la langue dans nos milieux de vie, comme le sport, ce n’est pas un petit milieu marginal. C’est là que nos enfants passent leurs soirées, leurs week-ends, leurs vacances. C’est là qu’ils se forgent une identité. Si on ne protège pas le français dans ces arènes, où va-t-on le protéger?

Je suis même prêt à faire mon radical. Oui, j’ose le mot : radical. Je veux qu’on revienne au français de façon extrémiste. Pas pour interdire l’anglais, mais pour rétablir l’équilibre. Pour faire du français la langue naturelle et dominante dans les sports, comme elle devrait l’être partout ailleurs au Québec. Les garages mécaniques y sont parvenus avec le temps, pourquoi pas le sport?

Et ce n’est pas si compliqué. Au lieu de crier "One-two-three-Team!", pourquoi ne pas lancer un : "Un-deux-trois – Ensemble!"

C’est simple. Ça sonne bien. Et ça a du sens. Pas besoin d’un lexique sportif de 200 pages. Juste d’un peu de volonté. On pourrait même imaginer un programme de francisation du sport. Un guide d'expressions sportives en français remis à tous les entraîneurs. Un petit atelier pour les fédérations et associations. Et surtout, une directive claire : quand on représente le Québec, on parle en français. Point.

Ce n’est pas une question de purisme. C’est une question de cohérence. D’identité. De transmission.

Parce que le français, ce n’est pas juste une langue. C’est notre façon de comprendre le monde. C’est la langue des encouragements de nos parents dans les estrades, des premières victoires et des défaites amères, des "bravo mon grand!" et des "t’as tout donné, n’lâche pas!". C’est la langue du cœur.

Et aujourd’hui, elle est en train de perdre le match, lentement mais sûrement. Alors il est temps qu’on revienne sur le terrain. Qu’on forme une équipe. Pas juste pour défendre le français, mais pour le faire vivre. Dans les vestiaires, sur les lignes de touche, dans les gradins.

Parce qu’au fond, ce n’est pas qu’une affaire de mots. C’est une affaire de fierté. Et moi, je veux qu’on puisse un jour crier, dans une aréna pleine à craquer, à la toute fin d’un match serré :

"En français, s’il vous plaît!"

Et que toute la foule réponde, sans hésitation :

"À nous la victoire!"

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