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Retour08 novembre 2022
Élise Brouillette - ebrouillette@medialo.ca
Des propriétaires dénoncent la gestion des résidences de tourisme
Municipalité de Chertsey
©Photo gracieuseté - L'Action
Plusieurs citoyens s’inquiètent de la santé des plans d’eau de Chertsey.
Plusieurs associations de propriétaires de lacs de Chertsey sont insatisfaites de la gestion du dossier des résidences de tourisme (Airbnb) par la Municipalité. Des représentants ont accepté de se confier à L’Action, certains de façon anonyme, d’autres à visage découvert.
Au cours des dernières années, la Municipalité de Chertsey a entamé des démarches et des consultations dans le but de se doter de règles pour encadrer les résidences de tourisme. Un règlement a finalement été adopté le 7 juillet dernier.
Tout au long du processus, les associations de propriétaires ont pu manifester leur désaccord et, par le biais d’une pétition, faire en sorte que de nouveaux permis pour des Airbnb ne puissent plus être émis autour de leur lac.
Plusieurs intervenants dénoncent le fait que des permis aient été délivrés sans que la Municipalité ne possède de règles claires pour gérer les Airbnb. Ils se disent également insatisfaits de plusieurs aspects du règlement que vient d’adopter Chertsey.
Une situation insensée
Serge Laurin, président de l’association des propriétaires du lac Clair, est très craintif concernant la santé de ce plan d’eau, pour lequel une pétition a été présentée à la Municipalité. « Personne ne voulait de résidences de tourisme. » À la suite de leur pétition, les résidents du lac Clair ont réussi à être exclus de la réglementation, ce qui fait que ce dernier ne possède qu’une seule résidence de tourisme, qui avait été autorisée avant l’adoption du règlement municipal. Même si de nouvelles résidences de tourisme ne pourront pas être autorisées au lac Clair, le seul Airbnb existant suscite du mécontentement.
« Depuis 2020, une dizaine de plaintes ont été formulées. Plusieurs infractions ont été signalées, notamment au sujet des équipements nautiques, des déchets laissés dans le lac, des bruits nocturnes et des feux d’artifice. Nous sommes un petit lac, nous avons au moins réussi à interdire que d’autres permis soient émis. »
Malgré les nouvelles règles pour encadrer les résidences de tourisme, Serge Laurin mentionne que plusieurs inquiétudes demeurent. Ce dernier siège au sein de la Fédération des associations des lacs de Chertsey. Il préside aussi le comité sur les résidences de tourisme. Il affirme que les mêmes problématiques sont présentes un peu partout dans la municipalité. « Ce qui nous inquiète, c’est surtout la menace pour la santé des lacs et les plantes envahissantes. »
Soulignons que le transfert de bactéries d’un lac à un autre, via les embarcations qui ne sont pas nettoyées adéquatement, est un facteur de risque important pour la santé des plans d’eau. C’est d’ailleurs pourquoi, à Chertsey, les propriétaires des résidences de tourisme doivent obligatoirement fournir les embarcations.
Selon le président, plusieurs Chertsois songent à vendre leur résidence. Il dénonce que la Municipalité pense régler les irritants avec une patrouille de surveillance.
« La Municipalité n’a pratiquement pas d’emprise pour intervenir, les permis sont presque émis à vie. Mettre un commerce dans un secteur de villégiature, ça n’a pas de bon sens, les propriétaires ne viennent même pas sur place, ils n’achètent que pour faire de l’argent. Entre voisins, on favorise une bonne entente et un party par été, ça ne dérange pas, mais des partys toutes les fins de semaine, on n’en veut pas. »
Les résidents des lacs aimeraient que les permis soient émis pour une durée limitée et renouvelables sans garantie et qu’ils soient décernés au propriétaire au lieu de l’être à la résidence et transférables de propriétaire en propriétaire. « On a l’impression que les élus ont perdu le contrôle et qu’ils ne savent plus comment le récupérer. »
Un droit acquis?
Une résidente d’un autre petit lac de Chertsey, qui souhaite garder l’anonymat par crainte de représailles, dénonce que la Municipalité ait été lente à se doter d’une réglementation sur les Airbnb et qu’au lieu de mettre en place un moratoire en attendant le règlement, elle ait octroyé de nombreux permis d’exploitation.
La citoyenne souligne que lors de la première consultation publique organisée en août 2020 dans ce dossier, la majorité des résidents se plaignaient déjà des nuisances associées à ce type de commerce. Toutefois, une grande mobilisation des propriétaires locateurs aurait, selon elle, influencé les prises de position du conseil de l’époque.
La résidente mentionne que le règlement municipal laisse croire que les propriétaires de Airbnb qui ont reçu un permis avant son entrée en vigueur le 7 juillet dernier jouissent d’un droit acquis qui les exclurait de certaines contraintes.
« Ce droit acquis va à l’encontre de toute possibilité d’un réel contrôle par la municipalité de Chertsey de normes relatives à la protection de l'environnement et de la limitation des nuisances. »
La citoyenne termine en mentionnant qu’actuellement, les résidents n'ont pas de recours contre ces « commerces ».
La volonté de poursuivre le débat
Jointe par L’Action, Linda Otis, présidente du 7e lac, abonde dans le même sens que Serge Laurin. « Nous avons été présents tout au long de la consultation sur la réglementation. Nous avons répondu à la demande de l’ancien maire d’aller chercher une indication de l’adhésion de nos membres et plus de 90 % étaient contre le développement des résidences de tourisme. »
À l’instar de ceux du lac Clair, les propriétaires du 7e lac ont déposé une pétition et font partie des cinq lacs qui ont été exclus du règlement. « C’est un règlement imparfait. Il reste des éléments qui posent problème », précise Mme Otis.
Parmi les éléments qui sont problématiques pour elle, il y a également le fait que le permis soit accordé à la propriété et soit transférable lors de la vente éventuelle de la résidence. « On a le sentiment d’être condamné à vivre avec ces commerces qui dévaluent les propriétaires aux alentours. »
La notion de droit acquis l’inquiète également. Au 7e lac, trois permis pour des résidences de tourisme avaient été accordés avant que le règlement n’entre en vigueur et que le lac demande d’en être exclu. « Le dernier permis a même été délivré pendant l’étude du règlement », dénonce la présidente.
Mme Otis remarque que certaines municipalités ont limité les résidences de tourisme ou les ont regroupées dans certains secteurs, mais que dans tous les cas, il y avait une réflexion au niveau du développement. « Nous, ça s’est fait de façon anarchique et tout le monde peut devenir locateur. »
Pour elle, les dangers sont réels concernant la santé des lacs et la propagation des plantes envahissantes. « Les résidents sont sensibilisés, mais les visiteurs n’ont pas la même conscience. »
Au niveau de la mise en place d’une brigade, elle se questionne sur sa pertinence et elle croit aussi que ce sont les propriétaires des résidences de tourisme qui devraient assumer ses coûts et non l’ensemble des contribuables.
Linda Otis insiste : « Nous voulons continuer nos démarches avec le conseil de façon constructive. » Toutefois, elle n’a pas le sentiment que les citoyens sont réellement écoutés par les membres du conseil. « Des amendements ont été déposés et les élus veulent faire évoluer ce dossier de bonne foi, mais il faut aussi regarder la réalité. La solution ne passe pas juste par la brigade, il faut gérer les incohérences et s’en occuper pour que ce soit à la satisfaction des résidents. »
L’Action s’est entretenu avec une agente immobilière, qui réside également autour d’un des lacs de Chertsey et qui souhaite préserver son anonymat. Celle qui connaît très bien le milieu de l’immobilier ne mâche pas ses mots. « J’en ai entendu des histoires d’horreur. Pour moi, les résidences de tourisme, c’est commercial alors pourquoi les municipalités permettent ça? »
Elle considère que les résidences de tourisme sont devenues des fléaux partout. « Ça devient problématique et c’est en train de fausser le marché. Ça va aussi tuer les lacs, les visiteurs sont en vacances et ils font ce qu’ils veulent. C’est déplorable. » Selon elle, les brigades de surveillance sont vouées à l’échec puisque les propriétaires de ces « commerces » sont souvent des gens de l’extérieur pour qui seul le revenu importe.
« C’est déplorable pour les résidents qui ont travaillé toute leur vie pour s’offrir une retraite au bord de l’eau. Les locations court terme n’ont aucun sens. Il devrait y avoir des endroits spécifiques pour ça. »
L’agente immobilière croit cependant que d’ici quelques années, il y aura beaucoup de chalets à vendre sur le marché. « Il y a eu de la folie à cause de la Covid, mais ça va s’éteindre. Toutefois, les problèmes que ça aura causé entre-temps sont terribles. »
Un sujet très clivant selon la mairesse de Chertsey
En entrevue avec L’Action, la mairesse de Chertsey, Michelle Joly, avoue que le dossier des résidences de tourisme est un sujet « très clivant ». Elle confirme qu’auparavant, la Municipalité ne possédait pas de réglementation sur les Airbnb et qu’elle ne pouvait donc pas sévir
« Trois consultations publiques ont été organisées dans le cadre de l’adoption du règlement. Deux rencontres ont eu lieu en présentiel les 7 août et 17 septembre 2020. Il y a aussi eu une consultation écrite du 4 au 18 août 2021. »
Mme Joly explique que le plan de concordance des règlements d’urbanisme avec la MRC de Matawinie a aussi entraîné un gel temporaire pour l’émission des autorisations pour les résidences de tourisme du 16 août 2021 au 7 juillet dernier. En date d’aujourd’hui, la Municipalité possède près de 250 résidences de tourisme.
Concernant la patrouille de sécurité, qui est en place depuis quelques semaines, la mairesse croit qu’il faudra attendre au moins une année avant de pouvoir juger son efficacité. « Nous avons une réglementation très sévère et la patrouille va intervenir auprès de toute la population, pas seulement auprès des résidences de tourisme. S’il y a une plainte, des actions seront prises et les gens vont voir que ce qu’on a dit qu’on ferait, on va le faire. »
Michelle Joly exprime que la volonté des élus municipaux de Chertsey est de trouver un équilibre. « On veut assurer la quiétude des citoyens sans freiner le développement de la municipalité. On veut un équilibre entre le développement économique et la qualité de vie. »
La mairesse confirme que les nuisances au sujet du bruit, des feux d’artifice et du non-respect des lacs sont préoccupantes. « On demande que chaque propriétaire fournisse l’équipement nautique. » Elle affirme être énormément préoccupée par la santé des lacs. « Ce sont notre richesse. Si des embarcations non identifiées se retrouvent sur des lacs, il faut faire appel à la patrouille. »
Selon Mme Joly, le montant pour les infractions peut aller jusqu’à 2000 $ et même 4000 $ lorsque le propriétaire est une personne morale. « Après deux infractions, le permis peut aussi être révoqué. »
La mairesse souligne que depuis l’adoption des nouvelles règles pour les résidences de tourisme, quelques demandes ont déjà été refusées.
Le règlement sur les usages conditionnels prévoit effectivement une notion de droit acquis concernant la résidence et le lot qui l’abrite. Cela signifie que la propriété préserve le droit d’exploitation et que les nouveaux acheteurs d’une résidence de tourisme n’ont pas à refaire une demande de permis auprès de la Municipalité. Cependant, ils doivent redéposer une demande auprès de la CITQ.
Mme Joly précise toutefois qu’il peut y avoir une perte d’un droit acquis si l’usage a cessé depuis plus d’un an. Un permis d’exploitation peut aussi être révoqué en tout temps s’il y a non-respect des règlements de nuisance et ce, peu importe quand le permis a été octroyé.
« Même si une propriété bénéficie d’un droit acquis, le propriétaire doit respecter les règles en matière de nuisance. Il y a peut-être une mécompréhension du droit acquis, car tous les propriétaires de Airbnb sont assujettis aux mêmes règles. »

©Photo Élise Brouillette - L'Action
La mairesse de Chertsey, Michelle Joly.
©Photo gracieuseté - L'Action
Plusieurs citoyens s’inquiètent de la santé des plans d’eau de Chertsey.
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