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03 décembre 2019

Mélissa Blouin - mblouin@medialo.ca

Un producteur témoigne pour faire tomber les tabous

Détresse psychologique

Francis Desrochers

©(Photo L'Action- Mélissa Blouin)

«Quand ça ne va pas bien, tu ne veux pas que tout le monde le sache, sauf que d’avoir une écoute et d’en parler à quelqu’un qui est neutre, qui n’est pas ton voisin, qui a une formation et qui est spécialisé, ça vaut un million», a commenté le producteur de pommes de terre à Saint-Paul, Francis Desrochers, en entrevue avec L’Action. 

Chez les agriculteurs, le taux de suicide est deux fois plus élevé que pour le reste de la population et c’est pourquoi la Fédération de l’UPA de Lanaudière a annoncé l’embauche d’un travailleur de rang pour 2020 dans la région. Ce dernier ira à la rencontre des producteurs, afin de déceler et d’intervenir si l’un d’entre eux démontre des signes de détresse psychologique.  

M. Desrochers est bien placé pour connaître la richesse de cette ressource, puisqu’il a lui-même été confronté plusieurs fois à la détresse psychologique. En mai 2018, son cousin, lui aussi producteur agricole, s’est enlevé la vie. «Un de ses entrepôts s’est affaissé et il avait peur de ne pas arriver à vendre ses légumes», a expliqué celui qui est aussi président du syndicat provincial des producteurs de pommes de terre. 

Puis, quelques mois plus tard, il a de nouveau été ébranlé par un suicide, alors que le vice-président du syndicat, Stéphane Blouin, a aussi commis l’irréparable. «Personne n’a vu ça venir, il était toujours de bonne humeur, toujours prêt à aider tout le monde, on l’appelait Mère Teresa. Deux jours avant, il négociait pour des ententes de mises en marché. Je lui avais dit que j’irais le voir pour qu’on jase, mais je n’ai pas eu le temps...»  

M. Desrochers soutient qu’en 25 ans, certaines régions ont perdu une vingtaine d’agriculteurs par suicide. Il trouvait donc primordial d’agir afin que les gens parlent de la détresse psychologique et pour enlever le tabou qu’il y a autour du sujet. «On n’ose pas parler de suicide, mais je vais en parler parce qu’il faut que ça bouge. Les producteurs sont mes coéquipiers et là nous sommes en train d’en perdre et ce n’est pas normal. »  

Francis Desrochers

©(Photo L'Action- Mélissa Blouin)

Francis Desrochers, propriétaire de Maxi-Sol.

Son histoire 

C’est ainsi qu’il a commencé à raconter son histoire et à parler de son propre épisode de détresse psychologique, qu’il a vécu il y a une dizaine d’années. « Le fait de consulter a changé ma vie, mon avenir. Si je ne l’avais pas fait, je ne serais peut-être même pas là pour te parler, c’est une réalité. »  

Pour lui, tout a commencé avec des problèmes familiaux. Des conflits entre son père et sa conjointe qui ont pris de l’envergure et qui lui amenaient du négatif autant professionnellement que dans sa vie personnelle. De plus, son entreprise n’allait pas bien économiquement. «Je ne me sentais pas valorisé et je me suis dit que je devais partir, soit en voyage ou de façon plus définitive et juste d’y penser ça m’a fait peur. » 

Heureusement, il a eu le réflexe d’aller consulter un psychologue spécialisé dans le monde agricole. «Ce n’est pas évident comme domaine. Nous sommes des gestionnaires qui devons composer avec tellement de choses incontrôlables comme la météo, le prix, la mise en marché, la production et les risques financiers. »  

Pour illustrer ses propos, l’homme de 47 ans a mentionné qu’il ne jouait jamais au casino puisqu’il a l’impression de «gambler» tout au long de l’année. «Au mois de mai, je mets un montant d’argent dans le sol et après je dois attendre au mois d’octobre pour voir si mon gain était correct, si j’ai remporté ou perdu quelque chose. »  

Le fait que les producteurs agricoles vivent dans leur milieu de travail et qu’il n’y ait pas de coupures amène de l’isolement. M. Desrochers croit aussi que les hommes ont tendance à vouloir maintenir leur fierté. « Il faut arrêter de voir ça comme une faiblesse. Si une de mes machines fait défaut, je vais la réparer. Si j’ai mal au dos, je vais voir le chiro et bien c’est la même chose pour se faire remettre les idées en place! Ce n’est pas une honte et personne n’est à l’abri.» 

En plus de tous ces facteurs, les agriculteurs doivent maintenant composer avec une pression sociale que ce soit pour les pesticides, la production biologique ou le mouvement vegan. « Il faut avoir un équilibre et respecter les valeurs des autres sans les imposer. J’aimerais que la population nous considère comme des professionnels dans notre secteur et comme un maillon important de l’alimentation.» 

Une ressource inestimable 

Pour M. Desrochers, Lanaudière aurait dû avoir son travailleur de rang depuis très longtemps. Le producteur est conscient que ce ne sont pas tous les entrepreneurs qui s’ouvriront lorsque le travailleur de rang fera sa tournée, mais quand ils auront des idées noires ou se sentiront moins bien, ils sauront qu’il y a quelqu’un pour les écouter.  

« C’est une accumulation de toutes sortes d’affaires. Tu deviens fatigué et tu as besoin de quelqu’un pour te dire je vais t’aider, il y en a d’autres dans la même situation qui s’en sont sortis, j’ai une solution et tout n’est pas tout noir. »  

Cette personne ressource enlèvera aussi un gros poids à tous ceux qui se rendent compte qu’un producteur ne va pas bien et qui se sentent impuissants. «Déjà depuis l’annonce, des producteurs ont dit avoir des collègues en tête qu’ils référeront au travailleur de rang lors de son entrée en poste.»  

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