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Retour28 mars 2019
L’industrie de la microbrasserie sous la loupe de cinq acteurs

©Gracieuseté
Cinq acteurs de Joliette et des environs ont porté un regard sur l’industrie de la microbrasserie en région et au Québec.
MICROBRASSERIES. En pleine expansion depuis quelques années, les microbrasseries foisonnent au Québec. À Joliette et ses environs, quatre ont vu le jour. L’auteur de ces lignes a rencontré cinq acteurs passionnés de ce milieu afin de dessiner un portrait de cette industrie qui a le vent dans les voiles.
En 2011, l’Association des microbrasseries du Québec dénombrait 102 établissements dans la province. Sept ans plus tard, ce chiffre a plus que doublé, passant à 218. Lanaudière occupe 6% de la part du gâteau, avec 15 (3 permis d’artisan brasseur – brasseur artisanal de bière et 12 permis brasseur – fabricant industriel).
Cette vague a surpris le premier invité à se pencher sur la question, Marc-Étienne Proulx. Copropriétaire du Comptoir local, magasin spécialisé en bières de microbrasseries et produits du terroir, il s’attendait à ce qu’elle s’essouffle avec le temps, mais il a été contraint de se raviser.
Si elle ne démontre aucun signe de ralentissement, c’est que les microbrasseries, en plus de leurs produits, détiennent plus d’une corde à leur arc. « De mon avis, elles créent des lieux de rassemblements en région comme il ne s’en fait plus. Les gens aiment boire une bonne bière dans un espace convivial. Plusieurs ont même intégré une salle de spectacle pour offrir une expérience à leur clientèle. »
Propriétaire de la brasserie artisanale Maltstrom, située à Notre-Dame-des-Prairies, Michaël Fiset corrobore ces propos, parlant lui aussi de régionalisation de la bière. « Aujourd’hui, toutes les grandes villes ont leur microbrasserie. C’est devenu le nouveau perron de l’église et c’est ce qui a permis de démocratiser la bière. »
D’autres facteurs entrent également en ligne de compte, souligne-t-il. Il y a l’envers du décor qui a permis aux brasseurs de passer du rêve à la réalité. « L’accessibilité du matériel a grandement augmenté. Auparavant, un système de brassage coûtait un demi-million, alors que tu peux maintenant t’en procurer un pour 125 000 $. La baisse drastique des taxes d’assise des lois fédérale et provinciale a aidé à garder l’argent dans les poches des brasseurs. Ainsi, tu n’as plus besoin d’hypothéquer ta maison pour les générations futures pour te lancer en affaires », a-t-il expliqué.
Karine Bélanger, de L’Alchimiste, ajoute que les habitudes du consommateur ont évolué avec les années. « Il est beaucoup mieux informé et curieux qu’auparavant. Il a besoin de découvrir de nouveaux produits et il se tourne vers ceux artisanaux plutôt que ceux commerciaux », a-t-elle remarqué.
Trop de variétés tue le produit?
Qui dit 218 microbrasseries dit également des milliers de produits se retrouvant sur les tablettes des marchands, des épiceries et des magasins spécialisés. Un couteau à double tranchant ayant du bon et du mauvais.
À l’époque, M. Proulx se souvient que les magasins spécialisés se targuaient d’avoir une sélection de 300 produits. « Maintenant, à 1000 produits, cela me fait un peu peur, a-t-il lancé. Quand tu désires une India Pale Ale, mais que tu en as 200, il y en a qui vont prendre de la poussière. C’est dommage pour le brasseur et nous ne désirons pas ça en même temps non plus. »
Nouveau joueur dans le paysage joliettain, Pol Brisset, propriétaire de la microbrasserie les Vilains brasseurs, dont les bières sont brassées dans l’entrepôt de l’Alchimiste, n’est pas du même avis. « Oui, il y a beaucoup de produits, mais ce sont les meilleurs qui vont se démarquer. Et cela va au-delà du liquide dans la cannette; le prix, la présentation et la communication sont aussi des facteurs qui font que des bières restent sur les tablettes. »
Cette opinion est partagée en d’autres termes par M. Fiset. « Le marché bouge vite. Les brasseurs avec peu ou pas d’expérience vont se noyer dans la masse. C’est pour cette raison que j’ai attendu 12 ans avant de partir à mon compte afin d’offrir des produits haut de gamme; pour ne pas encombrer les tablettes avec des produits moins intéressants. »
Copropriétaire de la brasserie artisanale Albion avec son frère, la réalité peut être différente en région selon Jason Bussières. « C’est évident que le marché deviendra saturé à un certain moment, mais dans les petits marchés, ce sera toujours bon. Lorsqu’on se promène en Gaspésie ou au Lac-Saint-Jean, nous retrouvons des produits que nous ne pouvons obtenir ailleurs que sur place », a-t-il expliqué.
Et l’avenir?
Il est difficile de prédire l’avenir de l’industrie de la microbrasserie au Québec, mais les cinq invités se sont prêtés au jeu et ont regardé dans leur boule de cristal respective en y allant de leurs prédictions et défis à court et moyen terme.
Aux yeux de plusieurs, l’un des premiers constats est que certaines microbrasseries disparaîtront de la carte. « Il y a tellement de joueurs que ça a pour effet de tirer les microbrasseries vers le haut, a estimé Marc-Étienne Proulx. Celles qui vont demeurer le feront pour l’amour de la bière. »
Pour y parvenir, il croit que certaines d’entre elles, dans cet objectif, laisseront tomber les traditionnelles rousses, blanches, blondes et noires au profit d’une expertise dans un style particulier afin de créer des produits de niche.
C’est également le même constat que rapporte Karine Bélanger. « La demande n’est pas aussi forte que l’offre, ce qui entraînera une sélection naturelle. Les amateurs de bières n’augmenteront pas leur consommation pour autant », a-t-elle renchéri.
Également d’avis que le ratio entre ouverture et fermeture de microbrasseries penchera du côté de la 2e option, Jason Bussières estime que les brasseurs devront user de leur créativité pour demeurer en vie. « Le marché local est bien différent du marché commercial. N’empêche, elles devront se démarquer du lot avec des bières diversifiées et intenses, tout en conservant une certaine constance. »
Un autre constat qu’il a identifié est que l’encapsulage prendra l’ascendant sur l’embouteillage de la bière, propos partagé par Pol Brisset. « Il y a 20 ans, seulement 5 % des bières produites étaient distribuées en canettes. Aujourd’hui, c’est la moitié. La raison de cette ascension est simple; la gestion est beaucoup plus facile, tant pour les consommateurs que pour les détaillants. »
Quant à Michael Fiset, le plus grand défi sera pour les microbrasseries locales de percer le marché des supermarchés de leur secteur. « Lorsque les propriétaires d’épicerie embarqueront de manière locale en payant des employés à titre de conseillers, leur salaire va se payer tout seul. Déjà, il y a des endroits qui ont tenté l’expérience et leur chiffre d’affaires a doublé dans cette section. »
Peu importe si ces prédictions se concrétisent dans le futur, l’industrie de la microbrasserie en région et au Québec n’est pas près de s’essouffler. Il sera intéressant de constater son évolution, ses changements et ses modes au fil du temps.
©(Photo L'Action - Steven Lafortune)
Marc-Étienne Proulx, copropriétaire du Comptoir Local.
©(Photo L'Action - Steven Lafortune)
Michaël Fiset, de la brasserie artisanale Maltstrom.
©(Photo L'Action - Steven Lafortune)
Karine Bélanger, de l'Alchimiste.
©(Photo gracieuseté)
Jason Bussières, de la brasserie artisanale Albion.
©(Photo gracieuseté)
Pol Brisset, des Vilains Brasseurs.
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