Teinturière végétale, un métier qui allie vocation et respect de la nature

Les couleurs, le cercle chromatique et l’art textile ont toujours passionné l’artiste damiennoise Céline Desjardins, qui a d’ailleurs récemment été nommée Maître de traditions vivantes pour son métier de teinturière végétale, dont elle est héritière depuis de nombreuses années. En entrevue avec le Journal, elle aborde les rudiments de sa pratique, qui se veut écoresponsable et respectueuse de la nature, son outil de travail le plus précieux.  

« On travaille avec des racines, des écorces, des tiges, des feuilles, des fleurs, c’est passionnant quand ça vient de la nature. Tu fabriques ta couleur, tu teins ta fibre, puis, après ça, tu la transformes en vêtement, en ce que tu veux! », souligne la coloriste.  

Mme Desjardins explique qu’elle s’est d’abord énormément questionnée sur la manière dont les tissus étaient teints à l’époque, c’est-à-dire avant l’arrivée des teintures synthétiques et chimiques sur le marché. « Je me questionnais par rapport à comment on faisait nos couleurs avant que l’industrie ne débarque dans les années fin 80, début 90. C’est ensuite devenu facile de faire des couleurs avec des petits sachets de poudre. »  

Ce sont des lectures qui lui ont permis d’obtenir des réponses. « J’avais lu dans un livre qu’on pouvait teindre avec des poches de thé, les gens concoctaient du thé fort et teignaient leurs textiles dans ce genre de grosse tisane. Je me suis dit : « Wow! Je veux essayer ça! » 

C’est ainsi qu’elle a fait ses débuts en explorant diverses matières. « J’ai essayé avec toutes sortes de trucs que je trouvais ; du café, des fleurs sur mon terrain… J’ai vu qu’effectivement, ça colorait, mais que ça donnait des couleurs qui étaient pâles. Je me suis dit: « Il doit bien y avoir un moyen de faire des couleurs foncées ».  

En 2014, elle a fait la rencontre de Marie-Berthe Guilbault-Lanoie, flécheuse et teinturière de renommée qui concoctait des couleurs pour teindre des ceintures fléchées authentiques. Elle a évolué à ses côtés pendant cinq saisons à son atelier de Berthierville.  

Céline raconte qu’elle a appris à réaliser les couleurs foncées en sa compagnie, puis qu’elle a par la suite complété ses savoirs, afin d’être capable de réaliser le cercle chromatique en entier. « J’ai appris la base avec Marie-Berthe, le rouge, le bleu et le jaune, un peu de vert et de brun aussi, mais en ceinture fléchée, ils ne font pas de couleurs plus contemporaines comme saumon, les roses pâles et autres variantes. Je me suis donc spécialisée dans les couleurs nuancées afin de pouvoir être capable de tout faire. »  

Une première au Québec  

De la macération à la cuisson, en passant par la décoction et la filtration, les végétaux sont l’objet de nombreuses étapes de transformation, qui nécessitent le matériel approprié… et le trouver fut tout un défi, aborde Céline. « Ça a pris dix ans avant d’accumuler tout le matériel qu’on avait besoin ; les chaudrons en fer, en fonte, en étain et en cuivre. Il fallait trouver tout ça chez des antiquaires, des brocantes, puis les poêles aussi! J’en ai même deux qui datent de 1901! » 

Une fois que l’équipement a été déniché, elle et son conjoint, Rémy Foisy, qui teint et tisse également à ses côtés, ont bâti ensemble le seul et unique pavillon extérieur créé et aménagé pour produire de la teinture végétale et naturelle au Québec : le Pavillon de teinture Desjardins-Foisy. « Il fallait l’inventer ce pavillon-là et on n’avait aucune référence pour s’inspirer. On a imaginé ça ensemble, des plans jusqu’à la réalité et on est fiers de notre structure. Ce n’est pas juste pratique, c’est magnifique! » 

En effet, le Pavillon de teinture Desjardins-Foisy est situé au domicile même des artistes à Saint-Damien, qui comporte également leur boutique « Fou de vous », ouverte au public.  

En plus de vendre des laines pour la création de projets textiles, le couple propose une collection de vêtements et d’accessoires qu’ils tricotent à la main et sur leurs machines antiques, l’hiver, quand la saison de la teinture est terminée. « On fait des tuques, des mitaines, des foulards, des cache-cous et des châles. On a aussi une collection de bas de laine absolument extraordinaires avec des couleurs, des rayures ou non et les fameux bas de laine classiques. On remet aussi au goût du jour des vêtements d’époque sans en retirer le cachet traditionnel. »  

En tant qu’ambassadrice du métier de teinturière et du patrimoine vivant, Céline Desjardins, reconnue Maître de traditions vivantes par le Conseil québécois du patrimoine vivant (CQPV), est fière de présenter sa vocation à tous ceux qui sont curieux d’en savoir plus. « Les visiteurs et touristes qui débarquent dans la région sont invités à venir nous voir à l’œuvre tous les samedis d’été et d’automne, de la Saint-Jean-Baptiste à l’Action de grâce. C’est gratuit, on s’organise pour avoir de trois à quatre couleurs différentes pour qu’ils puissent voir comment ça se produit. »  

Cette nouvelle reconnaissance du CQPV lui vaut également une bourse de 5000$ qui servira à bâtir le programme de transmission de savoir-faire traditionnels, soit le métier de teinturier. La Maître de traditions vivantes se dit très enthousiaste à l’idée de concrétiser ce projet car cela lui permettra, entre autres, d’aller chercher de la relève. « L’idée c’est de partager! Les secrets, je ne garde pas ça pour moi toute seule! Je suis très verbomoteure et pédagogue de formation, donc j’en donne et j’ai les installations pour le faire! La seule chose qui me manque, c’est de la relève, mais je pense qu’avec la formation qu’on va offrir cette année, ça va donner le goût aux jeunes et aux moins jeunes d’apprendre. »   

Parmi ses autres réalisations sur le territoire, Céline Desjardins s’implique annuellement au Festival Fou du fil en donnant la conférence sur la teinture naturelle à la Maison Rosalie-Cadron à Lavaltrie.  

La teinturière conclut en exprimant toute la reconnaissance et la symbolique que représente une telle mention. « La nomination que je viens d’avoir, c’est comme le résultat d’une recherche dans une vie. »